DR schreef op 28 juni 2000 in Le Monde

" Le conte du ventre plein "



Dans une Franche-Comté profonde, l'Américain Melvin Van Peebles imagine " Le conte du ventre plein ", une histoire loufoque et humaniste. VIVRE, dit un personnage de Melvin Van Peebles, c'est mettre un pied devant l'autre... Fort de ce précepte, c'est exactement l'inverse que fait le cinéaste puisqu'il imagine un film loufoque et surréaliste, une histoire, en somme, à délirer ensemble où il s'agit justement de ne jamais mettre un pied devant l'autre. Le conte du ventre plein est un ovni cinématographique. Une création filmique qui ne ressemble à rien, autrement dit un film plutôt original. Evidemment, on pourrait quêter dans l'entreprise comme les traces vitrioleuses et désinvoltes d'un Mocky contaminant un univers qui, par moments, ressemble au sien mais, ici, avec plus de poésie provinciale. Mais Le conte... est surtout l'affaire de Melvin Van Peebles, cinéaste américain à l'itinéraire aussi singulier et atypique que l'est son film. Né en 1932 à Chicago, Van Peebles (dont le fils Mario est lui-même acteur et cinéaste) est un autodidacte arrivé au 7e art par des chemins de traverse. Vendeur de fringues d'occasion, navigateur sur un bombardier à réaction, façon Folamour, dit-il, portraitiste au Mexique, conducteur de tramway à San Francisco où il tourne ses premiers courts métrages, étudiant en astronomie aux Pays-Bas... C'est à ce moment-là qu'Henri Langlois, le fondateur de la Cinémathèque française, l'invite à Paris pour montrer ses courts métrages. Il débarque en auto-stop en France où il galère, chante pour gagner sa croûte, apprend assez de français pour pouvoir collaborer à France Observateur, Hara Kiri ou au Figaro littéraire, se lie avec l'auteur de romans policiers Chester Himes et fait avec Wolinski une bande dessinée à partir de La reine des pommes de Himes. En 1968, il réalise La promesse avant de tourner Watermelon Man en 1970 à Hollywood et, l'année suivante, Sweet Sweetback's Baadasssss Song, le film qui ouvre la voie à la blaxploitation, ce courant salué naguère par Tarantino dans Jackie Brown (avec Pam Grier, l'icône du genre) et illustré par Shaft dont Hollywood vient de sortir un remake à succès. Mais ceci est une autre histoire... Rira bien... Le Ventre plein est un bistrot sur la route de Belfort, le style tord-boyaux, tenu par une paire de Thénardier qui évoquent mystérieusement les petits secrets et les souffrances des familles. Dans un orphelinat pour filles d'outre-mer, le couple récupère Diamantine, enfant trouvée " qui n'a jamais comptée pour personne ". Quel est le sombre dessein des affreux ? Le titre en dit quelque chose... Mais la robuste et candide Diamantine a des ressources. Rira bien qui rira le dernier... Melvin Van Peebles, qui a travaillé en vidéo numérique, ne craint pas les effets. On trouve de tout dans Le conte..., surimpressions, décadrages, décolorations, incrustations, accélérés, le tout souvent kitsch. Pourtant, l'ensemble fonctionne plutôt bien. Bien sûr, on note ici et là des chutes de rythme mais c'est l'atmosphère qui importe. Pour cela, on peut compter sur des comédiens (Jacquet Boudet, Andréa Ferréol, Meiji U Tum'Si et même Frank Delhaye des 2B3) qui se sont mis, avec humour et probablement délectation, au diapason de ce conte de la province profonde. Le conte du ventre plein est un film qu'on pourrait (presque) prendre en route à tout moment pour faire, avec des personnages tour à tour bêtes et méchants ou profondément généreux, un petit bout de chemin dans une existence qui est évidemment bien différente de la " vraie " vie. Melvin Van Peebles, ce n'est manifestement pas son genre, se garde bien de donner des leçons ou de distiller des messages. Pourtant, il glisse que l'amour et la tolérance ne doivent pas rester lettre morte ou encore que les gens de coeur, les braves types et les bonnes filles sont de meilleure compagnie que les affreux. Un point de vue qu'on partage volontiers. On peut toujours rêver. Jacques Boudet et Meiji U Tum'Si dans " Le conte du ventre plein ".