Monique Malfatto schreef januari 1984 in Le Monde


"UNE MUSIQUE SI JOLIE QU'ELLE DEMASQUERA LA GUERRE?''

Herman Van Veen





Violoniste classique de formation, chanteur-rocker-clown-diseur par vocation, pacifiste par conviction, Herman Van Veen est celui que la France n'attendait plus: le chantre du bonheur et de l'apocalypse, le fils de jacques Brel. La bombe va pas tomber, dit-il. Un grand coup de coeur a fait vibrer, mi-novembre, les fidèles du Palais des Glaces qui d‚couvraient, pour le première fois en France (1), Herman Van Veen, auteur-compositeur-interprète-musicien- mime-clown néerlandais. Van Veen, avec son spectacle "La bombe va pas tomber" , les a ballades, dans le monde danse-chant-comédie-tragédie, dans le monde révolte espoir-mémoire-futur.
Une voix rythmée et lyrique ; une présence scénique assurée et simple; un climat de nostalgie et de volonté de vivre ... . D'où venait donc la fascination collective? De l'homme qui se cachait derrière ce regard bleu, candide et inquiet.
C'est en écoutant Edith Piaf qu'Herman, petit garçon, comprit son chemin. Devenu homme de scène, il lui rend hommage au début de son show, comme s'il le lui dédiait: "Edith Piaf est une vieille âme qui, toujours, se réincarne en quelqu'un avec ses histoires, ses impossibilités, sa puissance. Elle pouvait échapper à son corps à travers les limites de son corps. ]'ai eté très impressionn‚ par sa mélancholie, par le feeling qu 'elle transmettait au-delà de la comprehension des mots. Son esprit créatif n 'était pas l'imagination mais une mémoire. J'adore les artistes qui n'ont pas d'imagination, mais qui ont le gôut de transmettre, de montrer ce qu'ils sont, sans renier leur milieu, qui ne cherchent pas à se mettre au service d'une culture. "
Herman suivit brillamment le Conservatoire. Il était très bon violoniste et possédait une voix de baryton rêvee pour interprêter Schubert, Fauré, Schumann. Ses professeurs avaient décidé de son avenir lyrique. Lui, voulait devenir clown. Le jour même de sa sortie du Conservatoire, il s'y employa. En parfait autodidacte, il s'aida de gens célèbres : Marceau, rencontré dans le couloir d'un théâtre, dans un aéroport; Jean-Louis Barrault, qu'il vit et revit dans ses films, dans un numéro du gala de l'Union des Artistes. Mick Jagger, dont il aime la manière de bouger; le théâtre japonais aussi ... ; et bien sûr Chaplin, encore et encore Chaplin "qui est un croisement entre Jésus-Christ et une belle-mère, entre un épicier et un ideal, qui sait démontrer le ridicule du pouvoir, qui sait couper court au rire d'une façon si chaleureuse que tu en deviens meilleur."
Être clown ... "c'est rire pour chasser sa propre peur; c'est faire rire pour chasser la peur des gens; dédramatiser son angoisse, la tourner en dérision; chasser l'horri'ble sensation d'être indisponible au bonheur;" Etre clown . ; ; parce qu'on est "mal dans l'ordre établi,'' que l'on veut, "comme tous les artistes, être unfil de communication humaine, un pont entre les gens," pour "mettre en avant d'autres réalités. "
Avoir peur et être optimiste ... "disons réaliste-optimiste. Je suis très attentif aux faits. Prenons par exemple la guerre: elle a été, donc elle arrive. La bombe, elle existe, donc elle peut tomber; Il y a des gens qui disent: "les choses s'arrangeront" ou bien ,j'ai une chance d'échapper à l'apoca1ypse". Or, c'est justement parce qu'ils pensent cela qu'il y a danger; " Danger a ce point réel qu'Herman Van Veen consacre une grande partie de son temps au Mouvement pacifiste néerlandais - il a bâti son spectacle autour de ce thême -, à l'Unicef dont il est ambassadeur, à "Colombine", association pour le développement "émancipé" des pays du tiers-monde.

"Je chante, je mime, je joue pour dire, à ma manière, ce que je vois et ce que je ne veux pas. Mais pas uniquement. Pourfaire quelque chose de po- sitif aussi: la pensée apocalyptique existe et arrange tout le monde. Alors je viens chanter "la bombe va pas tomber" pour venir déranger, bousculer, casser cette sécurit."
"Pour prévenir la guerre, il faut croire vraiment qu'elle peut arriver. Je dis "la bombe va pas tomber" pour dire "si cette bombe n'existe pas, cette société n'existe pas;" Les victimes actuelles de la guerre nucléaire se chiffrent à cinquante mille morts par jour, cinquante mille enfants affamés. On dit que l'installation des missiles en Europe, la prolifération des armes nous garantissent encore trente ans de paix. Quel est le pris de cette "paix". ? Le prix de la vie de pauvres gens. Le pris de notre apathie à nous, victimes de la consommation, de la surinformation qui nous rendent capables de lire un journal en sirotant un verre, d'écouter la radio et de regarder la télé sans vomir ...''
,,Je dis qu'entre les pays du pacte atlantique, force négative des États- Unis, et les pays du pacte de Yarsovie, force négative de l'URSS, il y a la musique ... Il nous faut faire une musique si jolie qu'on démasquera la guerre, qu'on oubliera de lafaire: la vie est trop belle!" Pendant deux heures ici (mais trois ou quatre aux Pays-Bas), Herman Van Veen le dit dans un époustouflant récital, batifolant entre chanson, danse, mime, poésie, humour, absurdité, générosité. Musicien classique, il se sert avec le même bonheur de son archet que des techniques électroacoustiques les plus élaborées. Chanteur, il ,,1yrique'' , il swingue, il charme, il berce, il rocke.
Et dans un grand éclat de rire du public complice, Van Veen demystifie le chanteur qui devient tour à tour idole, pape, dictateur, leader et leurs symboles: V de la victoire ou du pacifisme, salut fasciste, signe de croix. Et à peine le public reprend-il soufIle qu'il s'émeut d'une complainte oú s'enchevêtrent drames et espoirs: ceux des Folles de Mai, mères de disparus argentins, ceux des enfants de l'apartheid ...
A peine le temps de retenir ou ravaler ses larmes qu'on s'emerveille des "Vieux amants" et de la memoire vivante de Brel "convaincu de cette verité: il allait mourir; Sa surprise devant la vie fut si grandequ'il n'eut pas assez de temps pour l'aimer. Avec sa manière de chanter la vie, l'espoir que donne la combinaison du rêve et de la réalité, il chantait en mon nom. Donc, je chante en son nom. "


Monique Malfatto

Le Monde de la Musique, januari 1984



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